De Notre-Dame des douleurs à Notre-Dame de l’espérance

par Marie-Hélène Didier, conservateur général des monuments historiques, en charge de la cathédrale Notre-Dame.

Lors de cette conférence prononcée le 13 novembre 2019 devant les amis de la Société, Marie-Hélène Didier a souhaité « Raconter ce que j’ai vécu la nuit du 15 avril 2019, lors de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris et ce que je vis depuis », en précisant que ce témoignage « est une vision partielle et personnelle, celle d’un conservateur des monuments historiques chargé de la cathédrale par sa fonction. »

Le 15 avril, je suis prévenue, alors que je suis à Versailles, vers 18h55, de la présence de fumée sortant de la cathédrale. Les Parisiens de la Conservation régionale des Monuments historiques arrivent plus vite sur les lieux et participent au sauvetage des œuvres dans la cathédrale, chandeliers sur les autels, garniture du Sacre de Napoléon Ier et deux tableaux décrochables, « La Nativité de la Vierge » de Le Nain et « la Vierge de Pitié » de Lubin Baugin. Ils sont cantonnés sur la base vie du chantier de la flèche. Sont également évacuées du trésor la tunique de saint Louis et sa discipline. Les reliques de la couronne d’épines, de la croix et du clou, placées dans la chapelle axiale, sont extraites par Laurent Prades, régisseur général de la cathédrale, et Antoine-Marie Préaut, conservateur régional des monuments historiques. J’arrive avec difficultés sur le parvis à 20h50 où m’attendent les représentants de la Direction Générale des Patrimoines. Vers 22h nous sommes admis à rejoindre, par la rue du Cloître, le groupe de la base vie. Vers 22h45/23h, trois d’entre nous sont autorisés à nous rendre dans la sacristie sous la conduite des pompiers pour poursuivre l’évacuation des œuvres du trésor. Laurent Prades ouvre les vitrines. Les pompiers sortent et emballent les deux reliquaires de la couronne d’épines (celui de Cahier et de Viollet-le duc), le reliquaire du clou et du bois de la croix, la Vierge à l’enfant en argent d’Odiot, sa couronne réalisée par Boucheron et la croix de la princesse Palatine. La ville de Paris met à disposition des camions pour transporter tous ces objets de la base vie à l’hôtel de ville où des salles nous sont ouvertes. Les objets les plus précieux sont placés dans un coffre-fort. Tout est bouclé vers 2h du matin. Côté cathédrale, le beffroi nord est attaqué par les flammes. La croisée ne s’effondre qu’au cours de la nuit. Seuls les pompiers peuvent agir.

© Marie-Hélène Didier

Le 16 avril au matin, nous voyons des éléments de bois sur le sol et sur les voûtes, l’échafaudage de la restauration de la flèche qui porte encore le fantôme de ce qu’il enserrait. La cathédrale est inspectée par Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, qui retrouve le coq et les pompiers. J’examine les différents objets, tous intacts excepté le maître-autel de 1989 de Sébastien Touret situé à la croisée du transept. Les bois sont tombés à chaque fois au ras des objets. Les entreprises sont déjà présentes. Les objets vont de la Mairie au Louvre. Mille trois cents objets sont évacués aussi au musée du Louvre. Les opérations de sécurisation de la cathédrale commencent par la consolidation des différents pignons qui risquent de tomber. Des statues sont déposées en urgence car éclatées sous la chaleur. Dix-sept tableaux de grande taille sont décrochés en un temps record et emportés dans un entrepôt où ils sont examinés et dépoussiérés suivis par les trois tableaux accrochés dans la salle haute de la tour nord, les murs ayant été fortement arrosés lors de l’attaque du beffroi par les flammes.

© Marie-Hélène Didier

Les derniers objets sont sortis le 25 avril, les trois tapis dont celui de Charles X, et la statue de la Vierge à l’enfant, à la croisée du transept, en zone inaccessible, qui avait au-dessus de sa tête des poutres calcinées en équilibre. Des bâches sont déployées sur des poutrelles métalliques par les cordistes pour couvrir la cathédrale. A l’intérieur, des filets sont tendus dans la nef, le transept et le chœur pour parer et repérer toute chute de matériau. La mobilisation des entreprises est grande et environ une centaine de compagnons sécurisent l’édifice tous les jours. Les vitraux des verrières hautes de la nef sont enlevés afin de permettre le passage ultérieur de poutres à travers les baies. Une protection est installée au-dessus du « Vœu de Louis XIII » à l’aide de tubes d’échafaudage et de bastaings pour limiter les dégâts en cas de chute de pierre.

© Marie-Hélène Didier

La base vie, se réorganise.  L’intérieur de la cathédrale est régulièrement nettoyé. Des barnums sont implantés sur le parvis pour accueillir les débris sortis de la cathédrale, poutres carbonisées, fragments de pierre. La sortie des éléments en zone inaccessible est faite par des engins télécommandés qui attrapent les morceaux triés ensuite par la police, le Laboratoire de recherche des monuments historiques et le service régional de l’archéologie afin de mettre de côté les morceaux qui pourraient être réutilisés ou utiles à la recherche. Deux des quatre têtes d’anges de l’oculus de la croisée du transept réalisées par Germain Boffrand au XVIIIe siècle sont retrouvées.

© Marie-Hélène Didier

Des cintres non mis en charge sont placés sous les arcs boutants afin de pallier tout mouvement. Les voutes du bras nord du transept sont déblayées et paraissent en bon état. Le plancher haut pour examiner les voûtes est installé au-dessus du chœur. Le LRMH effectue des essais de nettoyage et déplombage sur deux chapelles de la nef aux résultats très prometteurs. La maîtrise d’ouvrage s’organise pour gérer ce gigantesque chantier régi par l’urgence impérieuse dans laquelle nous sommes toujours six mois après.

Il ne faut pas oublier qu’il subsiste les seize statues de la flèche déposées le 11 avril, actuellement en restauration. Quelques mises à l’honneur : le prix d’honneur de Batiactu délivré le 10 septembre à tous les intervenants sur le chantier de Notre-Dame de Paris, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, entreprises, LRMH, l’exposition organisée par Judith Kagan au ministère de la Culture lors des journées européennes du patrimoine présentant outre des dessins , photographies et relevés de la charpente, des statues de la flèche, l’aigle, l’ange, le coq et la tête de Viollet-le-Duc, le tapis de Charles X au mobilier National pour ces mêmes journées. Et maintenant, les mêmes statues de la flèche sont présentées à la Cité de l’architecture et du patrimoine pour compléter l’exposition installée depuis le mois de juin sur Notre-Dame de Paris. Elles y resteront jusqu’à leur restauration pendant plusieurs mois afin de se souvenir qu’elles existent toujours et qu’il faut les replacer. La Vierge à l’enfant est désormais présentée à l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, qui a repris les offices de la cathédrale.

© Marie-Hélène Didier

Marie-Hélène Didier, conservateur général des monuments historiques